J.P.LIEGEOIS
© Nature et Terroir
Espagne, Cordillère Cantabrique. Nous nous sommes installés dans le pâturage bien avant la nuit. Face à nous, à 50 mètres à peine, le pierrier où, ce matin, nous avons repéré les traces fraîches du passage de l’ours. L’attente commence.
Le soleil s’est couché. Nos jumelles fouillent sans cesse le moindre recoin du versant qui nous fait face. Pas un poil ne bouge. Petit à petit, la lumière s’estompe. Nous espérons en vain la lune qui, telle une star effarouchée, s’est réfugiée derrière le rideau des nuages. La nuit est là, épaisse, opaque. Nous rangeons les jumelles et bouclons les sacs lorsque résonne une cascade de pierres dérangées par un lourd visiteur. L’ours est là, mais nous sommes aveugles … La mort dans l’âme, nous entamons la descente
Combien de fois les « aficionados » de l’observation des mammifères n’ont-ils pas connu cette frustration de l’animal qui sort alors que l’obscurité est totale. Combien de fois n’ont-il rêvé d’y voir la nuit …
Il existe aujourd’hui dans le commerce des jumelles et monoculaires qui permettent d’observer dans l’obscurité (1) et qui combinent bonnes performances et prix abordable.
Comme avec un appareil photo, la lumière est collectée par un objectif. Elle est en suite focalisée vers l’amplificateur d’image. Celui-ci la transforme en faisceau d’électrons qui viennent frapper un écran au phosphore, comme dans une télévision. L’image créée ressemble d’ailleurs à celle d’une TV en … vert et blanc. L’oculaire de l’instrument permet simplement de voir l’écran. Il y a donc deux mises au point séparées à réaliser : celle de l’objectif et celle de l’oculaire.
Les instruments de vision nocturne ne sont pas des « jumelles infra-rouge » comme on l’entend parfois dire. Ils ne voient pas les corps chauds (qui émettent des radiations infra-rouges), mais démutiplient seulement la lumière existante. En obscurité totale (caves, sous-terrain, nuit sans lune et couverte …), ils sont donc inopérants, raison pour laquelle les fabricants prévoient souvent une petite source lumineuse d’appoint, discrète (lumière rouge et infra-rouge proche) mais efficace jusqu’à plusieurs dizaines de mètres.
Observer avec un instrument de vision nocturne est dépaysant pour qui est habitué aux jumelles classiques, et une certaine accoutumance est nécessaire.
D’abord, on l’a dit, l’image est « artificielle » et monochrome (verte). Son piqué et sa netteté sont largement inférieurs à ce que produisent de bonnes jumelles. Ensuite, le grossissement est faible : de deux à quatre fois en général. Pourquoi ? Plus son grossissement est important, moins un objectif capte de lumière, ce qui est évidemment critique en vision nocturne.
La portée effective dépend des performances du matériel, de la lumière disponible et des conditions météos (pluie, brouillard), mais elle ne dépasse guère une centaine de mètres avec le matériel « amateur » (2).
L’amplification de la lumière nécessite de l’énergie, généralement fournie par des batteries. Cela rend les instruments de vision nocturne plus volumineux et plus lourds que les classiques jumelles. Pour cette raison, mais aussi pour réduire les coûts, ils sont souvent présentés sous forme de monoculaires (prévus pour un seul œil). Cela a d’ailleurs d’autres avantages (3)
Dernier point : les amplificateurs souffrent des lumières vives et il faut donc éviter de les utiliser en plein jour ou face à une forte source lumineuse (phares, réverbère …).
De bonnes jumelles lumineuses (style 7x50, ou même 10x40) restent performantes jusqu’une heure environ après le coucher du soleil, voire plus tard lorsque la lune est pleine et le ciel dégagé. Dans bien des cas, elles seront donc suffisantes pour l’affût crépusculaire (1), puisque beaucoup de mammifères sortent dès que le soleil se couche. Il faut donc réfléchir avant d’investir dans un concentrateur de lumière. Mais, pour celui qui veut suivre renard, blaireau, cerf ou ours dans leurs pérégrinations nocturnes, il s’impose comme l’outil indispensable.
(1) Certaines marques de jumelles « normales » annoncent des performances de « vision nocturne ». Il s’agit d’instruments certes lumineux et performants au crépuscule, mais qui ne sont pas des concentrateurs de lumière. Prudence donc.
(2) Il existe du matériel plus performant, basé sur une autre technologie, mais son prix très élevé le limite aux usages professionnels.
(3) Soumise à la lumière produite par l’amplificateur, la pupille de l’œil se referme. Avec des jumelles de vision nocturne, on est donc aveugle durant plusieurs secondes lorsque, plongé dans l’obscurité, on décolle les yeux de l’appareil. Cela peut être dangereux. Avec un monoculaire, seul un œil est affecté. Cet avantage contrebalance le confort supérieur de l’observation binoculaire